samedi 21 août 2010

Eclaircie

Ces derniers temps, tout était devenu hostile. L’intérieur comme l’extérieur. Mon propre corps.
Depuis plus d’un mois je ne marche plus normalement parce que je me suis blessé le pied, il me faut donc des béquilles. A 28 ans, j’ai l’impression que mon corps n’est plus le même, qu’il n’encaisse plus tous les chocs, que lentement et inexorablement il va se mettre à me lâcher par petits bouts. Cette idée m’angoisse et il me faut du temps pour m’y habituer.

A cause de mon infirmité toute relative, je me suis enfermée lentement, faisant de tout un obstacle insurmontable. Annulé mes vacances, esquivé les sorties, les soirées, les visites... Je restais chez moi, à regarder les heures défiler dans l’ennui. M’enfonçant lentement dans une léthargie dont je ne souhaitais plus sortir.

Et puis chez moi, c’est devenu l’enfer. Deux souris ont débarqué un soir, alors que je végétais chez moi, snobant encore une fois une soirée à laquelle il me semblait trop pénible de me rendre. Et ce fut l’explosion. La panique. Les hurlements. Les pleurs convulsifs. Je suis partie de chez moi au milieu de la nuit et pendant une semaine, je n’ai pas pu dormir dans mon appartement. Jetée dehors, bien obligée d’avancer, je suis enfin partie voir la mer. Et j’ai parlé un peu. Et l’angoisse a pris un visage. Plusieurs, au fil des mots. J’avais encore peur.

Il a bien fallu rentrer. Affronter l’appartement, les obligations pour la rentrée, parler aux gens et travailler un peu. Et la pluie s’est mise à tomber, la température à chuter et l’odeur du mois de septembre envahissait tout comme un brouillard d’angoisse qui me pénétrait progressivement.
Chez moi, j’étais toujours aux aguets, sursautant au moindre bruit, jetant sans arrêts des coups d’oeil au placard maléfique d’où les souris semblaient provenir, me demandant si je saurais rester calme dans le cas d’une nouvelle invasion.

Et puis ma voisine a proposé de m’aider. Je me méfiais d’abord. Et finalement, je l’ai laissée s’introduire. Je l’ai regardée, benoîtement, assise par terre, les doigts pleins de mastic, reboucher patiemment les trous dans le mur. J’ai obéi à ses directives : sortir le frigo, nettoyer les crottes de souris, passer la tête par le placard qui me terrorisait pour vérifier s’il y avait d’autres trous. Je l’écoutais parler et elle me semblait vaguement irréelle, je n’arrivais pas à croire qu’elle était là, à faire ce qu’elle faisait. J’en aurais pleuré de soulagement. La vieille qui me semblait vaguement folle et un peu pénible devenait quelqu’un. Avec une histoire que j’ignorais, des activités qui m’étaient inconnues et des compétences qui étaient en train de me sauver de la folie.
Tout simplement, elle m’a obligée à regarder en face ce qui me faisait peur. Et je l’ai vue affronter cette chose. Et le mur derrière le frigo n’est plus un coin sombre, sale et plein de monstres. C’est un mur dont je connais les recoins, les tuyaux, même derrière les endroits inaccessibles, parce qu’elle m’a obligée à aller voir.

Mon appartement est à nouveau chez moi.
Et ma voisine n’est plus une vieille un peu pénible, c’est devenu quelqu’un.
blog comments powered by Disqus