samedi 27 mars 2010

Jolies images

Je suis une amoureuse ? Non. Plus précisément, je suis un coeur d'artichaut. Une amoureuse des images. C'est un peu différent. Comme je croise le regard d'un garçon, un instant, son image se cristallise et mon coeur manque un battement. Parce qu'à ce moment, là, cette seconde, son visage, ce qu'il vient de dire, le tombé de son pantalon sur ses jolies baskets, ce qu'il m'a dit hier de son rapport à sa mère et qui a laissé dans mon esprit un sédiment sur lequel viennent se poser les impressions du jour, tout cela, et d'autres choses encore, forment un tableau parfait. Un portrait charmant. Et de ce moment, je ne le vois plus, lui, ses errements, ses doutes, ses défauts et ses failles. Je vois l'image qui s'est imprimée à ce moment T.



Et cette image masquera tout de ses errements, de ses doutes, de ses défauts et de ses failles, jusqu'à ce qu'un jour, à un moment T, il dise ou fasse quelque chose, qui malgré toutes les manipulations mentales possibles, ne pourra que sortir du cadre de ma jolie photo intime. Mon coeur manquera alors un battement. Et le charme sera à jamais rompu.

Je serais déçue, de lui, de moi. Je ne verrais plus alors qu'un banal être humain, tombé de son piédestal. Une masse de chair humaine, avec cheveux et poils. Une névrose ambulante. Un sexe en érection qui pourrait bien pénétrer n'importe qui. Je verrais n'importe qui disant n'importe quoi. Et le vide s'emparera à nouveau de moi.

De ces jolies images, j'en ai collectionné beaucoup. Et ma mère se moquait de moi. Toutes les deux semaines, je rentrait de l'école avec un nouveau coup de coeur. Sans trop m'en rendre compte, jusqu'à mes 16 ans. Où j'ai croisé Jérôme. Dans le garage d'un copain. Ce soir-là, on fumait nos premiers joints, on buvait nos premières bières, on rencontrait des inconnus, pour la première fois. Des gens qui ne venaient pas de notre lycée, habitaient d'autres bleds, traînaient dans d'autres parcs. 

Jérôme, je ne lui ai pas parlé de la soirée. Je le regardais du coin de l'oeil, un frisson érotique dans le creux du ventre. Tout ce que j'ai su de lui, je l'ai appris après. 
Jérôme de Groslay et son T-shirt du Hard Rock Café de Bangkok. "Bangkok, Thaïlande". Jérôme aux cheveux longs et lisses. Son mètre 86, guitare électrique sur les genoux. Jérôme qui parle peu et aime pêcher, un pack de bières à portée de main. 

Du moment où je l'ai croisé, je n'ai plus pensé qu'à lui. Et puis le miracle. Le lundi au lycée. "Jérôme m'a demandé si je pouvais lui donner ton numéro de téléphone". Un ange s'était penché sur mon cas. Probablement. C'était une coïncidence incroyable. Quelque chose qui ne pouvait sûrement pas m'arriver. A moi. Moi, la moche, cheveux hirsutes et démarche gauche. Moi qui parle trop fort, ou pas assez. Moi, qui ne sait rien faire et qui ne sait rien dire. On m'a donné sa photo. De ce moment, elle ne m'a plus quittée. 

Il fallait prendre le train pour aller voir Jérôme. On a passé l'après-midi ensemble. A discuter dans sa chambre. Au milieu des posters de Pink Floyd et ACDC. A écouter Sweet Smoke et fumer des cigarettes. Et c'était bien. Il m'a raccompagnée à la gare. On a rien dit de tout le chemin. Nos deux corps à une distance soigneusement calculée. La tension était palpable. Et puis en arrivant sur le quai : "Je sais que c'est con de dire ça mais... tu veux sortir avec moi ?" Je me suis haussée sur la pointe des pieds, il s'est plié en deux. On s'est embrassés. Et c'était bien. 

Et puis c'est tout. Le reste, n'est que l'histoire de comment les doigts de Jérôme m'ont initiée au plaisir charnel et comment je n'ai jamais rencontré Jérôme. En fait. Entre nous, rien. Nos langues, nos doigts, diverses sécrétions corporelles. Mais plus rien. Et moi, toujours obsédée par son image. La photo que je traînais partout avec moi. Comment je ne pensais qu'à lui. Partout. Tout le temps. Un 0 en littérature pour cause de hors-sujet. Des coups de fil et une lettre de vacances. "Tu vois il y a plein de bonnes meufs ici mais j'ai même pas envie de serrer. Je pense à toi." 

Et la rentrée. Comment il s'est rasé la tête. Comment il a découvert le rap. Comment il a changé d'image, et perdu toute qualité. 
Et il m'a rendu mon disque des Béru. Et on ne s'est plus revu. Et pourtant il est resté dans ma tête. Pendant très très longtemps. Jérôme de Groslay et son T-shirt du Hard Rock Café de Bangkok. Ses cheveux longs et lisses. Son mètre 86 et sa guitare électrique.  
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