De huit heures à dix-huit heures trente. Dire bonjour, être énergique. Etre rapide. Décrocher, parler, écouter, parler, raccrocher. A chaque appel appliquer des instructions différentes. Rester accueillant. Mais ferme. Décrocher, raccorcher. Traiter les appels en moins de soixante-dix-sept secondes. Pendant quatre heures le matin, une pause de dix minutes. Cinq heures trente l'après-midi, une pause de dix minutes.
Rester énergique. Malgré le coup de barre de treize heures trente. Se gaver de café. En vain. Par miracle, une fois de temps en temps, une pause de quelques secondes s'insinue entre les appels. Parfois pas une seule fois de la journée. En profiter pour savourer le silence relatif. Surtout ne penser à rien. Le prochain appel cogne derrière la tête et on se prend à ne plus rêver qu'à la prochaine fois, hautement hypothétique, où le téléphone cessera de sonner. Quelques secondes. Ou pas.
Différentes stratégies pour tenir. Ne surtout pas regarder l'heure. Rire très fort avec ses collègues. Pester en off contre les patients.
Constater, quand on pense être déjà au bout du rouleau, que la fin de la journée n'est que dans deux heures et demi. Et constater que malgré la peine le corps tient. Ne pas s'effondrer en pleurs. Ne pas s'enfuir en courant. Ne pas défoncer l'écran à coup de clavier. Rester enchaîné au bureau, les oreilles douloureuses de toutes les interférences, des télé allumées en fond sonore, des bébés qui hurlent, des voitures qui klaxonnent... Les jambes enkylosées, rester sans bouger. Les yeux qui piquent, continuer à fixer l'écran. Supporter au-dessus de ça la chaleur des huit machines allumées en même temps dans 15 mètres carrés.
Une chose intéressante à remarquer, c'est que quand on arrive au bout de ses forces, on a tendance à aller de plus en plus vite. On veut se débarasser de l'appel. On devient plus efficace. Plus rapide. Comme si ces secondes gagnées avaient la moindre de chance de se transformer en minutes de répis. Bien sûr ça n'est jamais le cas. L'appel suivant arrive quelques secondes plus tôt. Et le piège se referme. Le système se nourrit de la souffrance du travailleur. C'est un truc que j'avais étudié en cours. Mais ça ne m'est d'aucune aide.